Les PME et l'innovation territoriale

Il y a plus de vingt-cinq ans, l'ouvrage de M.-J. Piore et Ch.-F. Sabel (The Second Industrial Divide, 1984, Basic Book inc.) avait fait l'effet d'une bombe dans la communauté scientifique. En s'appuyant sur l'observation des secteurs industriels et du déclin annoncé de la production en série, les auteurs annonçaient l'émergence d'un nouveau modèle socioproductif de spécialisation souple, basé sur la réémergence du modèle artisanal où les petites entreprises, loin de constituer un phénomène résiduel, occuperaient une place centrale dans la transformation des marchés et le développement économique et technologique

Les travaux fondateurs des deux auteurs ouvrirent une lignée de réflexions, riche en débats, sur la nature de la crise du modèle fordien, sur la convergence ou la dissociation des modes de production et d'organisation dans les économies mondialisées, ainsi que sur l'interprétation des nouvelles formes de rapport salarial que ces derniers recélaient.

Toutes proportions gardées, on pourrait se demander si le rapport publié en mai par le Conseil d'analyse économique, la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) et l'Académie des technologies (Michel Godet, Philippe Durance, Marc Mousli, "Créativité et innovation dans les territoires") ne pourrait pas jouer un rôle analogue de stimulant et de balise dans notre période de désarroi et d'incertitude.

Selon les auteurs, nous serions à l'aube d'une troisième vague d'innovations, portée par une nouvelle combinaison de facteurs stratégiques, notamment par l'activation de nouvelles relations interentreprises, souvent des plus petites, et par la stimulation de gisements de créativité (entendue comme capacité à fabriquer des projets), trop longtemps négligés à l'échelle territoriale. Si l'idée n'est pas neuve, plusieurs convictions se font cependant jour dans le document, qui tranchent par rapport aux doctrines dominantes.

COMPLEMENTARITE

C'est d'abord une conception élargie de l'innovation qui ne se réduit pas à la technologie avancée ou à la recherche, mais se trouve partout, parfois à l'état de projet dormant, dans le domaine commercial, le management, l'organisation "intra" ou interentreprise ou les services, notamment à la personne. C'est ensuite l'hypothèse d'une complémentarité entre la vigueur des économies productives ancrées dans les espaces locaux et une économie résidentielle régénérée par l'attractivité des territoires, les pôles de compétitivité et les "pôles de qualité de vie", articulant ainsi deux fonctions historiquement disjointes dans les politiques publiques : la recherche de compétitivité et l'aménagement du territoire. Mais aussi la place prépondérante des réseaux sociaux et du capital culturel, accumulé ou circulant, pour une meilleure coordination entre l'ingénierie institutionnelle, y compris dans les structures éducatives et de formation, et l'animation des talents créatifs issus du terrain.

La question de la gouvernance des réseaux interorganisationnels reste certes encore en suspens et les économistes appelés à la rescousse débattent à nouveau sur l'alternative : développer tous les territoires, jusqu'aux plus profonds districts ou s'appuyer sur les métropoles et leurs effets d'entraînement. De même, la grande place faite au management participatif et à la reconstitution de communautés de pratiques à l'intérieur des entreprises paraît-elle plus onirique. Déjà, MM. Piore et Sabel n'avaient-ils pas rêvé d'une collaboration exemplaire dans le modèle artisanal entre ouvriers qualifiés, représentants syndicaux et patronat, porteuse d'une "certaine forme de démocratie industrielle" ? Mais il est vrai qu'il ne faut pas désespérer Billancourt.

Voir: http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/11/08/les-pme-et-l-innovation-territoriale_1436889_3234.html