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Regards sur les pôles
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3 octobre 2011

Politiques publiques : comment passer du «faire» au «faire-faire» ?

Entretien avec Choukry Maghnoun, économiste
 
Des éclairages sur les défis et les moyens à mettre en œuvre pour les relever.

C'est le 21 décembre 2005 à Casablanca que le Premier ministre de l'époque Driss Jettou présentait le plan Emergence nouvelle stratégie industrielle du Maroc qui devait permettre en une décennie d'accroître de 1,6 point par an le Produit intérieur brut, de réduire le déficit commercial et de créer environ 440.000 postes d'emploi.

Au-delà de ces chiffres, l'ambition était de mettre à niveau le secteur industriel, d'identifier les lacunes et les forces du tissu industriel marocain pour renforcer le secteur de l'exportation. 
 
Un autre plan Émergence II était adopté le 13 février 2009 pour la période 2009 -2015 s'inscrivant dans la continuité avec la mise en place de 22 plates-formes industrielles intégrées aux standards internationaux et la réhabilitation des zones industrielles existantes. D'autres ambitions étaient inscrites dans ce nouveau plan : l'adéquation entre l'enseignement et la formation aux besoins de l'industrie, l'amélioration du climat des affaires et la lutte contre la corruption. Il restera à se demander si à mi-parcours du plan la «problématique de la croissance au Maroc reste [encore] une énigme» selon le mot des experts de la Banque mondiale qui font état d'une situation macroéconomique globalement satisfaisante, un système financier sain, des infrastructures en amélioration sensible, mais des performances limitées et de nombreuses défaillances qui plombent l'économie nationale.

Nous avons demandé à un économiste Choukry Maghnoun, qui a lui-même accompagné la formulation et la mise en œuvre de nombreuses stratégies sectorielles et régionales pour les pouvoirs publics, de nous faire un premier bilan et de nous livrer les conclusions de sa reflexion. Pour lui , l'objectif principal est aujourd'hui, compte tenu de la nouvelle architecture prônée dans le projet de régionalisation avancée, de « réussir la greffe entre les visions nationales et celles des territoires, en agissant notamment sur des leviers tels que la coordination et l'intégration des enjeux et des moyens correspondants ».

Pour réussir cet objectif ,une première question se pose .Les territoires, se demande-t-il, sont-ils outillés, disposent-ils de leur vision prospective et des critères décisionnels pour anticiper leurs mutations ? Qu'en est-il des modes de gouvernance ? de l'organisation des processus centraux et locaux, de mise en œuvre et de pilotage des politiques publiques ? de l'innovation dans l'organisation et la répartition des prérogatives centrales et locales ? Pour cet économiste , l'objectif in fine est « d' affirmer les vocations régionales par la spécialisation des territoires et massifier en conséquent l'investissement public et privé pour, en fin, leur permettre de « rester dans la course ».

Dans cet entretien , il évoque l'enjeu des contrats-programmes ,le rôle des PME et revient sur une question nodale , celle de la place du citoyen qui doit être, dit-il, au cœur de toute politique publique . « Ce facteur, souligne-t-il, doit être intégré comme une composante clé de l'évaluation de leur performance et pertinence. La performance des politiques publiques ne s'apprécie pas uniquement sur la base de leurs impacts prévisibles socioéconomiques (emplois, investissement, création de valeur ajoutée,…), c'est un processus continu et durable qui in fine devrait surtout permettre d'apprécier leurs effets sur le citoyen et son écosystème.

Dans un entretien accordé au Matin, l'économiste C.Maghnoun met le doigt sur les défis et les moyens de les relever. Eclairages.

LE MATIN : Quels bilan et enseignements tirer des politiques publiques mises en œuvre ces dernières années ?

CHOUKRY MAGHNOUN : Tout d'abord, je souligne le fait que nous sommes aujourd'hui dans une formidable dynamique de développement, avec encore de nombreux challenges à relever. Des efforts importants ont été accomplis ces dernières années en déployant des «feuilles de route» sectorielles, accompagnées de mesures diverses pour catalyser les synergies et l'implication des opérateurs privés. Cette démarche est un des fondements des politiques publiques mises en œuvre, en créant un début de cohérence dans l'organisation des filières économiques dites « prioritaires », telles que l'industrie, les services, l'agriculture, la logistique…, et transversales ou sociales telles que le développement de l'habitat, la planification territoriale, la gestion environnementale… La difficulté ou le challenge réside dans la réussite de l'intégration de ces diverses démarches dans des ensembles homogènes et pérennes et dans leur insertion dans les régions.

En effet, la sommation de chantiers ou de projets de développement multisectoriels régionalisés aura certainement des effets positifs sur la réalisation des objectifs des politiques publiques mises en œuvre mais probablement pas avec la même intensité qui résulterait de modèles régionaux intégrés et porteurs de ces dynamiques.

Il faut donc réussir la greffe entre les visions nationales et celles des territoires, en agissant notamment sur des leviers tels que la coordination et l'intégration des enjeux et des moyens correspondants.

Au-delà de la synergie entre les différents programmes, vous mettez l'accent sur la création de modèles régionaux intégrés ?

Oui. Si chaque institutionnel, porteur d'un plan stratégique national, reste focalisé sur la réussite individuelle de son plan, les retombées escomptées ne seront pas forcément au rendez-vous car celles-ci interagissent avec d'autres enjeux. Pour illustrer, le développement économique, l'aménagement du territoire et le développement de l'habitat sont des variables corrélées, toute action unilatérale est susceptible de perturber les équilibres… De facto, se posent des questions : les territoires sont-ils outillés, disposent-ils de leur vision prospective et des critères décisionnels pour anticiper leurs mutations,… eu de régions sont préparées à ces enjeux et ne disposent pas de feuilles de route homogènes, intégrées et « financièrement » programmées. Pour renforcer cette observation, l'absence de démarche intégrée se caractérise aussi par des dysfonctionnements lisibles comme la faiblesse des documents de cohérence spatiale (schémas directeurs à l'échelle du territoire ou des zones d'urbanisation,…) et des outils d'observation, les incohérences entre documents de planification (périmètres agricoles, extension pôles urbains,…), et l'absence d'intégration de projets de territoires (nouveaux pôles urbains, zones de développement économique, campus de formation,...
C'est, à mon sens, le challenge des prochaines années, celui de l'affirmation de modèles socioéconomiques régionalisés, intégrés, s'appuyant sur une programmation pragmatique et dotée d'une prospective fiabilisée.

Autrement, la réussite des politiques publiques serait un exercice presque aléatoire. L'intervention centrale est amenée à évoluer, en glissant progressivement du « Faire » au « Faire-faire »…

C'est là un vaste chantier. Concrètement, qu'est-ce que cela implique ?

Cela implique aussi d'adapter les modes de gouvernance aux enjeux. A ce titre, il y a certainement matière à repenser l'organisation des processus centraux et locaux de mise en œuvre et de pilotage des politiques publiques en innovant dans l'organisation et la répartition des prérogatives centrales et locales. L'aménagement du territoire, les équipements et le développement du monde rural sont des leviers qui méritent d'être intégrés, ce qui n'est pas d'usage lorsqu'on observe l'organisation des portefeuilles ministériels ! Il faut également s'appuyer sur l'émergence de projets de territoires novateurs, à même d'instaurer une dynamique vertueuse, tels que les pôles de compétitivité régionaux, les modèles d'agrégation et systèmes coopératifs,… le tout dans un ensemble régional homogène et lisible .Reste un dernier point essentiel , c'est l'approche proximité qui nécessite de mettre le citoyen au cœur de ces politiques publiques.

Actuellement, quel est votre ressenti sur le développement régional ?

Le premier constat , c'est que les régions ne sont pas bien sûr toutes au même stade de développement. Dans une vision à moyen et long terme, une région peut en soi être un label, reflétant sa dynamique, ses atouts intrinsèques et ses performances. Nous observons depuis quelques années des stratégies propres de développement, où s'intègrent une multitude d'enjeux sectoriels, sociaux, infrastructures, culturels,…
Certaines régions (Oriental, Souss-Massa, Tadla, Chaouia,…), à différents stades de maturité, ont enclenché des dynamiques novatrices, visibles qui leur permettent déjà d'affirmer progressivement leur vocation et leur présence. L'exercice de bonne gouvernance locale et de mobilisation des forces locales n'est pas aisé, il faut le dire, et requiert encore un effort pour avoir des résultats tangibles. D'un autre côté , le « saupoudrage » des politiques publiques sur tous les territoires n'est pas non plus une solution pérenne. Cette idée implique de déployer un fort enjeu de spécialisation des régions sur des vocations fédératrices, de la recherche de taille critique pour disposer des économies d'échelle nécessaires à la compétitivité, notamment en matière d'investissements matériels et immatériels. Toutes les régions de notre pays ne seront pas en même temps des bassins industriels, de services et agricoles. Il faut donc affirmer les vocations régionales par la spécialisation des territoires et massifier en conséquent l'investissement public et privé pour, in fine, leur permettre de « rester dans la course ». Il revient donc aux décideurs d'argumenter leurs orientations et de mobiliser les moyens en conséquence. Le scénario de spécialisation implique des choix et des programmations spécifiques, dans des cadres contractuels novateurs (Etat/Région). Je pense que c'est une pièce manquante aupuzzle pour créer la cohérence territoriale souhaitée.

Lorsque l'Etat contractualise un contrat-programme filière avec ses partenaires privés sans association systématique des partenaires « Région », il y a là clairement un risque. En d'autre terme, et si l'on veut mener à bien un projet , il faut le faire en bonne intelligence collective et avec tous les partenaires . C'est, je pense, un des points de départ pour la construction de modèles régionaux performants.

Une question vous tient à cœur que nous avons évoquée au début de l'entretien. Il s'agit de la place du citoyen qui, dites-vous, doit être au cœur des politiques publiques ? Pouvez-vous approfondir cette idée ?

Oui, je pense que c'est un vrai sujet. Pour illustrer, est-il encore concevable de penser le format d'un logement social indépendamment de la trajectoire des ménages et des zones d'implantation de ce type d'offre ? Le développement d'un parc industriel implique une pression sur l'habitat et sur le transport qui lui est propre et qui implique immédiatement des enjeux en termes d'aménagement du territoire et des infrastructures. Aujourd'hui, la mobilité des citoyens dans leurs territoires est une préoccupation au cœur des politiques publiques. Autre question qui relève d'un principe à la fois d'optimisation de production et de cohérence : ne devrions-nous pas lier le développement de notre agro-industrie à l'évolution des modes de consommation du citoyen et donner de facto de la visibilité pour l'accélération du développement de cette industrie stratégique ? et d'optimiser ou orienter les interventions de l'Etat en conséquent… Notre consommation annuelle de  « farine et assimilés » par habitant est l'une des plus élevées (200 kg), alors que nous sommes en déficit de consommation laitière ou protéinée… Ces exemples sont volontairement aux antipodes pour ouvrir le « débat » mais ils montrent l'importance qu'il faut donner au citoyen qui doit être au cœur des politiques publiques .Ce facteur doit être intégré comme une composante clé de l'évaluation de leur performance et pertinence. La performance des politiques publiques ne s'apprécie pas uniquement sur la base de leurs impacts prévisibles socio-économiques (emplois, investissement, création de valeur ajoutée,…), c'est un processus continu et durable qui, in fine, devrait surtout permettre d'apprécier leurs effets sur le citoyen et son écosystème. N'oublions pas qu'il existe de nombreuses expériences dans le monde permettant d'évaluer et de noter les régions selon un ensemble de critères.

Les contrats-programmes nous interpellent sur la question du rôle et de la place des PME ?

La réussite des contrats-programmes requiert une forte mobilisation du secteur privé et très certainement l'émergence d'un tissu nouveau d'entrepreneurs. La PME est un levier incontournable et les marchés domestiques et intra-régionaux méritent de l'attention car il serait illusoire, à mon avis, de construire de la compétitivité à l'international si nous ne sommes pas en mesure de conquérir nos marchés.
L'appui de la PME est un chantier à part entière, qui ne se limite pas à un assemblage de mesures. Dans tous les secteurs, les chefs d'entreprise sont affaiblis par l'indisponibilité de ressources humaines, la faiblesse des capacités industrielles, les risques de non-qualité,… En résumé, la réussite des contrats-programmes s'appuiera vraisemblablement aussi par la maîtrise de nos marchés, le développement de nos PME et de leur compétitivité. A titre d'exemple, la substitution aux importations est un formidable levier pour dynamiser notre tissu économique et préserver nos équilibres.

Peut-on faire un premier bilan de ces contrats- programmes ?

Tout d'abord et en restant objectif, ils contribuent à l'émergence d'une culture du « résultat » et du partenariat public-privé. Ils induisent également une chaîne de valeurs qui doit profiter à tous ses acteurs afin d'en assurer la durabilité et permettre en particulier la régénération et le développement du tissu d'entrepreneurs.
Des résultats tangibles ont été atteints ces dernières années ayant également permis de faire ressortir des dysfonctionnements et des handicaps : tension sur la disponibilité de la main-d'œuvre, compétitivité logistique, faiblesse de l'innovation, limite des capacités industrielles, faiblesses sur les processus de mise en marché,…

Renforcer la performance de ces contrats-programmes dépend aussi de la capacité des acteurs à gommer rapidement ses faiblesses en priorisant notamment l'innovation, le développement commercial, l'émergence de marques marocaines et d'une réelle industrie locale de support (emballages, consommables,…). L'analyse des intrants et besoins du secteur agricole démontre une forte dépendance à l'import qui mérite de disposer rapidement de solutions tangibles.

En conclusion, et tout en restant optimiste, vous demandez plus d'ambition, plus d'audace ?

Nous disposons des moyens pour réussir ce challenge, il faut être encore plus ambitieux et s'appuyer sur nos facteurs de compétitivité : des régions performantes, un tissu d'entrepreneurs « entreprenants » et un label « Maroc » visible par tous. Messieurs les entrepreneurs, la balle est dans votre camp… 
 
Voir: http://www.lematin.ma/journal/Entretien-avec-Choukry-Maghnoun-economiste_Politiques-publiques--comment-passer-du--faire--au--faire-faire--/156918.html

PB VEILLE CONSULTING
L'information au service de l'entreprise
http://www.pb-veille-consulting.com

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